Selaković pour CorD: la Serbie et les Etats-Unis reposent sur les mêmes traditions libertaires et valeurs démocratiques

01. juil 2021.
1° Comme l'une des priorités de la Serbie, vous avez souligné l’établissement de nouvelles relations de partenariat avec les États-Unis. Que signifie ce nouveau partenariat ?

Tout au long de l'histoire, la Serbie et les États-Unis ont entretenu des relations politiques et diplomatiques harmonieuses. Nous étions alliés dans les deux guerres mondiales, et même pendant la guerre froide, Belgrade avait un partenariat stable et fiable avec Washington. Nous avons eu le malheur de nous retrouver sur la ligne de confrontation avec les Etats-Unis à un moment historique crucial pour le monde entier en raison de nombreuses circonstances, mais c'est sans doute une situation atypique si l'on regarde la tradition des relations bilatérales serbes-américaines. Cette génération d'hommes politiques est tenue, principalement dans l'intérêt de la Serbie, d'essayer de retrouver un langage commun et un intérêt commun avec les États-Unis, et cela, s'il y a de la bonne volonté des deux côtés, ne sera pas aussi difficile que cela puisse paraître au premier abord. Nos pays reposent sur les mêmes traditions libertaires et les mêmes valeurs démocratiques et, à l'exception de la question du Kosovo et Metohija, nous n'avons pas de questions ouvertes avec les États-Unis qui pourraient être un obstacle insurmontable à la création d'un nouveau partenariat.

À un moment donné, en tant que secrétaire général du président de la Serbie, vous vous êtes réjoui de voir qu'un accord sur la normalisation économique entre Priština et Belgrade ait été conclu sous les auspices du président des États-Unis d'alors, Donald Trump. Toutefois, il semble que maintenant l'administration serbe ait de grandes attentes vis-à-vis du nouveau président américain Joseph Biden, le considérant comme un grand connaisseur en la matière. Quelles sont vos attentes concrètes quant à la poursuite du règlement de cette question et du soutien des Etats-Unis aux intégrations européennes de la Serbie ?

Le présupposé politique sur lequel repose l'accord de Washington est que les relations entre Belgrade et Priština puissent être progressivement assouplies par le biais du renforcement des liens d’affaires et la création d'un intérêt économique commun. C'est une recette basée sur le bon sens mais aussi sur des expériences politiques américaines éprouvées. Même s’il y a eu de nombreux doutes dans le public local et mondial sur la façon dont l'administration du président Biden traitera les fruits du travail de l'administration présidentielle précédente, le Département d'État a clairement déclaré que, en ce qui concerne l'accord de Washington, il n'y aura aucun changement de position. Pour ce qui est de l'intégration européenne de la Serbie, Washington a apporté un soutien continu à notre voie vers l'UE. Vu que l'intention de l'administration du président Biden est que les États-Unis retrouvent un rôle plus actif du phare de la démocratie au niveau mondial, les attentes de l'administration américaine concernant les processus de réforme en Serbie, coïncident avec nos intérêts et aspirations lorsqu'il s'agit de consolider davantage la démocratie en Serbie. Dans ce domaine, les intérêts de la Serbie, des États-Unis et de l'UE sont sans aucun doute convergents. La seule chose que nous attendons, ce sont des normes égales et une attitude équitable lors de l'évaluation et de la valorisation des succès obtenus dans les processus de réforme, et ceci n'a pas toujours été le cas jusqu'ici.

Nous avons récemment eu l'occasion d'entendre que le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas a exprimé sa conviction qu'avec le soutien du nouveau gouvernement américain, une chance se présente pour trouver une solution au problème du Kosovo et pour parvenir à un accord global apportant la prospérité économique. Quelles sont vos attentes quand on parle de ce côté économique.

Sans aucun doute les conflits gelés ne sont pas un climat favorable à une croissance économique dynamique et aux affaires sûres et prévisibles. Il y a des années déjà que nous disons être prêts à créer un climat plus stimulant pour la relance économique et le progrès de la région, par le biais d’une sorte de solution négociée pour les questions ouvertes entre Belgrade et Priština. Et il ne s'agit pas seulement d'une approche économiquement pragmatique, mais aussi de notre désir sincère de voir définitivement les Balkans occidentaux quitter l'ambiance post-conflictuelle et mettre un terme à toutes les frictions interethniques dans notre région de manière soutenable. Dans ce sens, la Serbie ne peut être plus constructive et sincère, et la seule réserve que nous ayons concerne les intérêts étatiques et nationaux serbes, dont la satisfaction doit faire partie de toute solution durable et soutenable dans les Balkans. Je suis profondément convaincu que de telles solutions sont possibles et ne nécessitent qu'un peu de prospective à long terme et d'esprit constructif de nos partenaires occidentaux, dont ressortent, certes, les États-Unis par leur taille, influence et puissance. Tant l'initiative «mini-Schengen» lancée par le président Aleksandar Vučić que notre solidarité pendant la pandémie de la covid-19 montrent la direction souhaitée par la Serbie pour le développement de notre région, et je suis persuadé que la bonne volonté de la Serbie ait été reconnue.

Même si nous parlons d'un nouveau partenariat, il y a lieu de dire que c'est aussi l'année de l’anniversaire, soit la célébration de 140 ans de relations diplomatiques entre les deux pays. Quels moments du passé citeriez-vous comme les plus importants pour la consolidation de l'amitié et de la coopération avec les États-Unis à l'avenir?

Les événements historiques sont légion qui peuvent être distingués comme des points lumineux ou des sommets dans les relations serbes-américaines, à commencer par la présence de médecins américains dans cette région pendant les guerres des Balkans, en passant par les relations de Pupin avec le président Wilson, l'opération Halyard dans laquelle la plupart des pilotes américains ont été sauvés en Europe occupée pendant la Seconde Guerre mondiale. A l’heure actuelle, les ambassadeurs informels de la Serbie aux États-Unis sont nos grands athlètes, qui créent une image très différente des stéréotypes créés sur la Serbie et les Serbes dans les années 90 du siècle dernier. Et je suis convaincu que cela ne s'arrêtera pas là, car il y a tellement de choses qui lient la Serbie et les États-Unis et que, seulement si nous sommes extrêmement déraisonnables, nous pouvons rater l'occasion d'élever nos relations à un niveau beaucoup plus élevé dans la période à venir.

Contrairement à certaines époques antérieures, dans un monde fortement globalisé, Pékin notamment est en train de devenir un acteur important de la politique étrangère mais aussi du développement économique, ce dont nous sommes également témoins en Serbie. A quel point les relations entre les grandes puissances rendent complexe la conduite de la politique diplomatique, s’agissant de petits pays ?

La Serbie mène une politique étrangère polyvalente ouverte et transparente, fondée sur les principes de neutralité militaire et d'indépendance politique de notre Etat. Nous n'avons aucun agenda celé et aucun désir de nous ingérer en tant que petit pays dans les désaccords géopolitiques des puissances mondiales et régionales. Nous pensons qu'il est possible de persévérer dans une telle politique si nous continuons à prouver avec succès notre crédibilité, en travaillant de manière cohérente pour créer une région stable et supprimer les barrières économiques, ce qui a finalement pour objectif de détendre politiquement les relations dans les Balkans occidentaux. Il est difficile pour les petits pays et les nations en période de turbulences, et nous vivons dans une telle ère géopolitique, de trouver un espace de développement et de progrès sans rejoindre les blocs, mais la Serbie continue de chercher sa place sous le soleil menant une politique régionale responsable et bien intentionnée à tous les égards,  mais aussi en gardant jalousement ses traditions d'édification de l'État et sa liberté et son indépendance durement acquises.

Depuis les changements démocratiques jusqu'au jour d’aujourd'hui, au cours des 20 années de son activité, l'USAID a encouragé de nombreux processus en Serbie, du renforcement de l'état de droit aux incitations pour le renforcement du marché et la promotion de l'innovation. Quelle était l'enjeu de ce soutien pour la Serbie moderne ?

Après un certain nombre d'années passées dans une ambiance de sanctions et une sorte d'isolement, la Serbie à un moment donné s’est trouvée toute à fait non préparée dans la période de transition. Je ne pense pas que la Serbie ait été un exemple réussi de transition au cours de la première décade de ce millénaire, mais les raisons en sont nombreuses et ce n'est pas le moment pour moi d'y entrer. Tout de même, dans nombre de domaines, telle la réforme judiciaire ou la mise en place d'une économie de marché, le savoir-faire étranger a été précieux et irremplaçable, même si cette période de notre histoire, si je dois donner une évaluation rétrospective générale, a été en grande partie une occasion manquée. Si bonnes que fussent les intentions des experts américains et de tous les autres experts étrangers, agences, organisations non gouvernementales, le fait est que les relations économiques entre la Serbie et les États-Unis sont aujourd'hui bien en deçà de nos possibilités et il est nécessaire d'investir une nouvelle force et une nouvelle énergie et lancer des mécanismes peut-être plus efficaces pour renforcer ces relations. Je vous rappellerai seulement que l’échange commercial avec les Etats-Unis en 2020 s'élevait à 811,5 millions de dollars, et qu'au cours des quatre premiers mois de cette année il était de 285,4 millions, ce qui, vous en conviendrez, est symbolique, compte tenu des possibilités qui s'offrent.

Conformément à l'accord de Washington, une autre agence américaine, la US International Development Finance Corporation (DFC), devait contribuer à ouvrir la porte aux investissements américains dans la région des Balkans occidentaux. Comme les médias l'ont spéculé, avec l'arrivée de l'administration Biden, ce plan a-t-il été classé et quelles en sont les répercussions quand on parle des investissements américains attendus, notamment dans le domaine des infrastructures ?

Les États-Unis ont un intérêt durable pour la Serbie et pour les   Balkans occidentaux. Nous attendons certainement beaucoup de la coopération économique avec les États-Unis, mais il ne revient pas à moi de relever des détails de ces projets ou de la dynamique de leur mise en œuvre. Le fait même que la DFC ait officialisé sa présence à Belgrade en ouvrant un bureau régional est une étape très importante, et j'espère sincèrement que nous avons devant nous une période de développement continu des relations serbes-américaines, y compris économiques. Il est évident qu'il existe un énorme potentiel inexploité dans la coopération économique entre la Serbie et les États-Unis, et on estime que les domaines telle l'énergie, les infrastructures et les nouvelles technologies sont particulièrement favorables au développement de la coopération. Nous considérons qu'il serait très important de conclure dans les plus brefs délais un accord de la non-double imposition avec les États-Unis, ainsi que de proroger le statut privilégié de la Serbie dans le commerce avec les États-Unis.

Cette année on célèbre le 20e anniversaire de l'Am-Cham, une association d'investisseurs américains qui travaille avec beaucoup de succès en Serbie et qui a créé un grand nombre d'emplois au fil des années. Quelle est l'importance de ces liens d'affaires pour le renforcement de bonnes relations diplomatiques?

En plus de créer un nombre important d'emplois en Serbie, les investisseurs américains sont à l'origine, me semble-t-il, d'un changement beaucoup plus important. À savoir, ils ont apporté en Serbie un nouveau type d'éthique de travail et des systèmes bien organisés incitant à la compétitivité sur le lieu de travail. Il s'agit principalement d'entreprises qui emploient des personnes jeunes et hautement qualifiées. Certains d'entre eux, précisément parce qu'ils ont eu l'opportunité de travailler dans les entreprises américaines où ils ont un parcours professionnel prévisible, sont restés pour construire leur avenir professionnel en Serbie. Ce type de relations et de coopération entre les pays, se reflétant dans l'activité d'investissement, est un volet-clé du réchauffement politique et diplomatique des relations, car ainsi la perception américaine de la Serbie et des Serbes change, mais aussi la perception d'une partie de la population d’une importance d’envergure en Serbie par rapport aux Etats-Unis, ce qui après des années de crise dans nos relations est très important. C'est pourquoi nous devons la gratitude aux associations professionnelles telle l'Am-Cham, mais aussi l'obligation de continuer à améliorer le climat d’affaires afin que les relations serbes-américaines dans le domaine de l'économie continuent de s'épanouir.